C’est un nouveau rebondissement dans l’affaire du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy. Éric Woerth, actuellement président de la commission des finances de l’Assemblée nationale et ancien trésorier de la campagne de l’ancien chef de l’état, a été mis en examen pour « complicité de financement illégal de la campagne ». En mars, c’était Nicolas Sarkozy lui-même qui était mis en examen pour corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de détournements de fonds publics libyens. Il s’était alors expliqué en direct à la télévision. Mais au centre de cette affaire d’une ampleur sans précédent se trouve un homme, le mystérieux Ziad Takieddine. Cet homme d’affaires libanais aurait joué l’intermédiaire entre Sarkozy et le gouvernement libyen et aurait participé à la livraison de valises contenant 5 millions d’euros. Retour sur le parcours d’un personnage étrangement lié au pouvoir, afin de mieux comprendre cet événement politique en France.
Un homme d’affaires proche du pouvoir
Né le 14 juin 1950 dans les montagnes libanaises à Baakline, Ziad Takieddine est réputé pour son sens aiguisé des affaires. Il entretient dès ses débuts un rapport étroit avec la France et avec le pouvoir. Il exerce ses talents d’homme d’affaires dans des domaines extrêmement variés : il travaillera chez Gemplus, une société spécialisée dans les cartes de sécurité, prendra la tête d’une station de la station de ski Isola 2000 et participera à des ventes d’armes : l’occasion pour lui de rencontrer plusieurs de ses grandes figures.
Charles Villeneuve, journaliste l’ayant côtoyé dans les années 80, décrit le peuple dont provient Ziad Takieddine, les Druzes : « Ce sont des montagnards, des musulmans qui ont fait une sorte de schisme. Leur philosophie est très particulière, elle leur interdit par exemple le prosélytisme. Ils sont environ 250 000 au Liban et entretiennent généralement un lien particulier avec la France. Ce sont des gens farouches, dont on dit qu’ils sont nés avec un revolver sous l’oreiller. Ça résume bien Ziad ! Oui, c’est un farouche, mais aussi un homme pointu, cultivé, qui a fait toutes ses études en Angleterre. C’est un type au caractère difficile. Mais aussi quelqu’un de solidaire et fidèle. Si l’on est ami avec lui, c’est pour la vie. Il ne retourne pas sa veste comme cela ».
Discret, il finit par être projeté sur les devants de la scène au cours de l’affaire « Karachi ». Il y est soupçonné d’avoir servi d’intermédiaire entre la classe politique française et pakistanaise pour assurer la vente de sous-marins, ainsi que de frégate à l’Arabie saoudite. Il aurait touché une somme coquette en compensation. Une série de relations tissées entre l’homme et la classe politique française apparaît alors au grand jour : dès 1993, celui-ci semble déjà côtoyer Nicolas Sarkozy, alors ministre du Budget, et François Léotard, ministre de la Défense. Il semble également proche d’un certain nombre d’hommes politiques que sont Jean-François Cope, Brice Hortefeux ou encore Nicolas Bazire.
L’affaire du financement libyen : un intermédiaire
Ziad Takeddine fait reparler de lui depuis quelques années dans le cadre d’une nouvelle affaire dans laquelle celui-ci aurait joué le rôle d’un médiateur avec la sphère politique française. Il déclare ainsi à Médiapart, au cours d’un entretien, avoir participé à la livraison de 5 millions d’euros à l’intention de Claude Guéant, alors Directeur de cabinet, et Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur. Selon les dires de l’homme d’affaires, Mouammar Kadhafi aurait versé cette somme à Nicolas Sarkozy pour financer sa campagne.
Le chef d’État Lybien souhaite alors se racheter une respectabilité à l’internationale, et veut pour cela passer par M. Sarkozy. Cette somme est donc un « cadeau » destiné à aider le ministre de l’Intérieur à atteindre le pouvoir. Dans l’entretien accordé au pure player, Ziad raconte avoir reçu les valises d’argent de la part de Abdallah Senoussi, alors chef de renseignement de Kadhafi. Contenant 1,5 million d’euros, cette valise est confiée à l’homme d’affaires : on lui demande alors de livrer celle-ci directement à Claude Guéant, et de ne pas s’inquiéter pour les douanes. Le transit se fait par voie aérienne classique, via une compagnie standard, suite à cela, M. Takieddine livre directement la valise à Claude Guéant. Une fois dans le bureau de celui-ci, la valise est déposée sur le sol, et quelques mots sont échangés, sans que le directeur de cabinet y touche ou y prête attention. Par la suite, l’homme d’affaires libanais affirme avoir procédé à deux autres livraisons : la deuxième, de deux millions d’euros, est déposée encore une fois à Claude Guéant, en la présence de Sarkozy, là encore sans aucun échange sur le sujet. La troisième contient 1,5 millions, et aurait été déposée directement dans les appartements de Sarkozy place Beauvau, là encore sans aucune allusion à ce propos.
Cette histoire a secoué la politique française, et notamment plusieurs membres de l’UMP, qui sembleraient directement impliqués. Nicolas Sarkozy et Claude Guéant ont démenti ces accusations, l’ancien chef d’État dénonçant une vaste machinerie à son encontre, destinée à lui nuire directement. D’autres indices sont pourtant venus corroborer ces dires, dont les déclarations de Abdallah Senoussi devant la cour pénale internationale, ainsi que des notes de la sécurité intérieure confirmant la présence d’une réunion, mais également le carnet de notes de Choukri Ghanem, ancien premier ministre libyen où sont listées ces sommes d’argent. Celui-ci a été retrouvé mort dans le Danube, dans des circonstances qualifiées d’accidentelles, mais suspectes.
Ziad Takieddine est actuellement mis en examen pour « complicité de corruption et trafic d’influence actifs et passifs ». Il est également la cible d’une plainte pour diffamation portée par Nicolas Sarkozy : il sera jugé en septembre 2019.
Source vidéo : chaîne Mediapart